Jurassic World Rebirth
Attribution : https://www.jurassicworld.com/gallery/
En bref
En retrait par rapport au reste de la saga.
Introduction
Lorsque, le 23 janvier 2024, je pris connaissance de l’annonce officielle d’un nouvel opus à ma saga préférée, je pris compte du mauvais accueil réservé à Dominion, et élaborait trois scénarios hypothétiques. Le temps m’a donné tort, puisque Rebirth n’a rien à voir avec mes suppositions.
Point d’humanité livrée à elle-même face son extinction. Point de lien avec les enfants de la Théorie du Chaos. Et, heureusement, point de robot-dino-tueurs.
Je dois préciser qu’au moment où j’écris ces lignes, j’ai déjà vu Rebirth une dizaine de fois ; je l’ai acheté sur AppleTV en espérant l’introduction d’une version longue, mais cet espoir fut promptement évacué. J’espérais qu’une version longue sauve Rebirth, comme cela avait sauvé Dominion. Notons tout de même qu’il y a près de deux heures de bonus, dont deux scènes coupées.
La critique de Jurassic World Rebirth me pose des problèmes particuliers qu’il m’est très difficile de contourner :
- En tant que fan de la première heure, je devais contrôler mon enthousiasme
- Je me rends compte que j’ai singulièrement développé mon esprit critique depuis que je me suis recentré sur les sciences, ce qui me conduit à considérer certains éléments avec plus de sévérité
- J’ai probablement été influencé par la lecture de critiques antérieures à la sortie du film (alors que d’habitude, je ne les lis pas)
Mon épouse, qui n’a pas été soumise à ces critiques, s’est montrée très positive. Moi, au contraire, je n’ai pas su me laisser porter : pour moi, Rebirth échoue à perpétuer la magie de ma licence préférée.
Anachronismes et chipotages
Sur l’environnement
Évacuons tout de suite le plus énervant, comme ça, c’est fait, et on pourra conclure sur quelque chose de plus positif.
Commençons par le plus évident : le réalisme scientifique est mis à mal. Peut-on réellement imaginer un laboratoire dans lequel un technicien intervient dans l’enclos de la plus terrible créature ayant été créée, vêtu d’une combinaison intégrale (vraisemblablement pour éviter une contamination environnementale), et jeter au sol, dans un laboratoire par ailleurs immaculé, l’emballage de sa barre chocolatée ? Plus encore, peut-on envisager que ledit emballage soit responsable de la panne de fermeture de la porte du sas principal, entrainant la libération impromptue de la créature ? Bref, cette scène est anecdotique.
Les dinosaures ne sont pas adaptés au climat terrestre, leur population décroit massivement, sauf près de l’équateur, dans des endroits “riches en oxygène”, “comme il y a 60 millions d’années”. Aïe ! Malheureusement, ce n’est pas l’oxygène qui était plus abondant il y a 60 millions d’années, mais le CO2. Or, la concentration en CO2 augmente significativement depuis l’époque pré-industrielle : c’est l’une des raisons du changement climatique. Autrement dit, le “climat” n’a jamais été aussi favorable pour les dinosaures que depuis leur extinction.
| Gaz | Fin du Crétacé (~66 Ma) | Pré-industriel (~1750) | Aujourd’hui (~2025) |
|---|---|---|---|
| O₂ | ≈ 21 % 1 | ≈ 20,95 % 2 | ≈ 20,95 % 3 |
| CO₂ | ≈ 570 ppm (≈ 0,057 %) 4 | ≈ 280 ppm (≈ 0,028 %) 5 | ≈ 424 ppm (≈ 0,042 %) 6 |
En outre, Rebirth fait ici un amalgame entre le climat et l’oxygène, hérissant le poil des scientifiques et entretenant une confusion chez les profanes. Or, la composition en oxygène de l’atmosphère, de nos jours en tout cas, est globalement homogène, sans différences significatives en fonction de la latitude. Et les dinosaures se sont bien adaptés à toutes les latitudes au cours du Mésozoïque, il n’y a donc pas de raison qu’ils déclinent en une trentaine d’années modernes (en tout cas, du point de vue de la composition atmosphérique).
Bien que ces suppositions du film soient fausses, leur origine est intéressante. Il faut revenir dans les années 80-90, à l’époque du premier Jurassic Park, pour se remémorer les travaux effectués sur de l’air capturé dans de l’ambre, auquel on a prêté une teneur en oxygène de près de 30%. En outre, bien des rumeurs ont circulé (et circulent encore) sur un lien entre le gigantisme des animaux préhistoriques et la “forte” teneur en oxygène de l’atmosphère de l’époque.
Combinons ces éléments avec un thème récurrent du film (sur lequel, au moins, tout le monde s’accorde) : les dinosaures ne sont pas à leur place dans le monde moderne. Parce qu’on les a créés en altérant un ADN original à jamais perdu et juste plus ou moins habilement remplacé par autre chose, et parce qu’on en a fait des animaux de ferme, de spectacle ou de zoo. Donc, quelque part, Rebirth radicalise cette idée. Une tabula rasa sur les dinos “primitifs” de Jurassic Park et même de Jurassic World, c’est-à-dire les plus proches des véritables animaux ayant foulé le sol terrestre il y a 65 millions d’années et plus, pour les remplacer par des monstres. Non par des hybrides fonctionnels, mais par des chimères pas vues depuis Alien 4.
Enfin, saupoudrons ces vieux mythes scientifiques et cet héritage réinterprété par des confusions populaires, telles que forêt équatoriale = poumon du monde = oxygène (c’est le flux de CO2 et d’oxygène qui change, pas la concentration spécifique en oxygène) et on obtient, en deux plans-séquence, un beau gloubi-boulga censé satisfaire tout le monde.
Sur la santé
Évoquons le prétexte du film : une entreprise cherche à s’approprier de l’ADN de dinosaure pour concocter un médicament (nommé “paléodioxine”) prévenant les crises cardiaques. Ils ont besoin de l’ADN des plus gros, parce que les plus gros ont un plus gros cœur, et donc de plus grandes cellules cardiaques.
Dans le principe, il existe le captopril, dérivé d’un peptide de venin de vipère, devenu un inhibiteur de l’enzyme de conversion pour traiter l’hypertension et l’insuffisance cardiaque. Donc, dans Rebirth, au lieu de ponctionner des vipères, on ponctionne des dinosaures (ça doit valoir le coup en termes de productivité).
Là encore, en peu d’éléments contextuels, Rebirth réussit à se mettre à dos une majorité de scientifiques, tout en laissant dans le vent les plus profanes. Une dioxine, quelle qu’elle soit, est un polluant toxique. Qu’on la préfixe par “paléo” pour indiquer qu’elle a été créée à partir de dinosaures n’en fait pas un médicament, mais admettons. Après tout, de nombreux poisons s’avèrent être des médicaments très efficaces à des doses contrôlées.
Une dioxine est une molécule lipophile (elle s’accumule dans le gras, les tissus adipeux). Ces tissus adipeux se retrouvent un peu partout dans le corps (animal et végétal), notamment sous la peau, ou autour des organes comme les intestins, dans l’orbite des yeux, les pieds et les mains. Mais pas dans le cœur.
Quel rapport, alors, avec les cellules cardiaques mise en avant par le scientifique du groupe ? Selon lui, “plus l’animal est gros, plus ses cellules cardiaques sont grosses”. Déjà, c’est faux : essentiellement, c’est la quantité de cellules qui change, pas leurs dimensions. Et ensuite, c’est ballot de leur ponctionner du sang, puisqu’il ne contient aucune cellule cardiaque chez un individu en bonne santé. En revanche, il contient de l’ADN, qu’on peut s’embêter à analyser pour tenter de reproduire les fameuses cellules cardiaques tant désirées.
À moins que “paléodioxine” ne soit en réalité une “paléodigoxine”, auquel cas la digoxine est effectivement un médicament cardiaque, et la “paléodioxine” est un malheureux néologisme confondant. Dommage : à une lettre près, ils pouvaient être un peu plus cohérents !
Reste alors à expliquer le lien entre la molécule et les cellules cardiaques. Il serait possible de pousser la réflexion plus loin, mais il faudrait exploiter des éléments plus techniques que ça, et j’ai encore plein de choses à aborder, mais en gros, l’idée serait de prouver que cette molécule permet aux cellules cardiaques des dinosaures d’être plus robustes, et Parker-Genix Pharmaceutical Engineering entend l’extrapoler à l’humain.
Mais pourquoi un Mosasaurus (aquatique), un Titanosaurus (terrestre) et un Quetzalcoatlus (aviaire) ? Simple prétexte pour aller explorer les océans, la terre et les airs ?
Sur l’argent
Ah, l’appât du gain. Alan Grant n’y a pas échappé dans le premier film, pas plus que le neveu de Hammond dans The Lost World, ni Alan Grant, encore lui, dans Jurassic Park III, ni Claire dans Jurassic World, ni Eli Mills dans Fallen Kingdom, ni Ian Malcolm dans Dominion, mais dans la plupart des œuvres de la saga, ces considérations sont secondaires. Étonnamment, seul Owen Grady s’est montré assez égoïste pour simplement vouloir qu’on lui fiche la paix. Malheureusement pour nous, dans Rebirth, on ne fait rien sans pognon, sans les dollars de la décision. Et notamment Zora Benett (interprétée par Scarlett Johansson), qui ne lèvera le petit doigt que pour des sommes à 8 chiffres. Au moins, dans Fallen Kingdom, ils se battaient pour sauver les dinosaures. Là, on embauche une bande de vautours qui vont récupérer les morceaux des animaux restant, à la botte d’une Big Pharma. Et ce sont des héros…
| Film | Motivation |
|---|---|
| Jurassic Park | Attrait de la nouveauté |
| The Lost World | Mission de sauvetage de la petite amie d’Ian Malcolm |
| Jurassic Park III | Attrait financier dissimulé par une mission de sauvetage |
| Jurassic World | Survie et sauvetage de dinosaures |
| Fallen Kingdom | Sauvetage de dinosaures |
| Dominion | Sauvetage de l’humanité |
| Camp Cretaceous & Chaos Theory | Survie |
| Rebirth | Attrait financier |
L’argent était aussi la motivation de Jurassic Park III : Alan Grant n’embarque dans sa mission de guide touristique que parce qu’on lui a promis une forte somme. Et c’est l’épisode que j’ai le moins aimé, jusqu’à Rebirth. Coïncidence ?
En vrac
- Comment Kincaid s’en est sorti ?
- À qui appartiennent les installations ? (aucune identité visuelle reconnaissable, mais la réponse est donnée dans les bonus — il est d’ailleurs fort dommage que cette scène en particulier ait été coupée !).
- Loomis est-il croyant ou scientifique ? Les deux ? Ugh… ("C’est un pêché de tuer un dinosaure").
- Arrêtez de nous emmerder avec le placement produit, comme si c’était une tendance qui s’amplifiait. Il y en a toujours eu et il y en aura toujours, et je préfère 1000 fois quelques plans mettant en avant une barre chocolatée plutôt que 20 minutes de pubs en plein milieu du film.
- Le film est truffé de références. Beaucoup d’entre elles à la saga entière, le reste à d’autres œuvres, notamment de Spielberg. Bien que je les voie comme des hommages, certaines me semblent assez maladroites, et d’autres me semblent en trop.
La torche rouge est un élément récurrent de la saga depuis le premier volet.
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Son et musique
Tous les bruitages sont parfaits, à une exception près : toujours ces pas pesants, dont le caractère angoissant fonctionnait très bien trente ans auparavant, mais qui est éculé aujourd’hui 7. L’ambiance sonore est excellente, et c’est en grande partie dû à Skywalker Sound. Le studio est gratifié d’un bonus qui lui est dédié, très intéressant mais trop court, sous la forme d’un making of.
J’apprécie tout particulièrement toutes les scènes avec de l’eau, dont les bruitages étaient catastrophiques dans Jurassic Park III… Je suis également très satisfait de la spatialisation, particulièrement réussie et immersive.
La musique en revanche “souffre d’un déplorable [manque] de personnalité”… 8 Elle pioche dans la BO de Jurassic Park et de Jurassic World, et entre les deux, propose des excès de violons, façon film d’horreur des années 80. De plus, elle ne contribue aucunement à la narration : des musiques comme celles de John Williams (Jurassic Park) ou de Michael Giacchino (Jurassic World) racontent le film. Elles racontent leur propre histoire. La musique d’Alexandre Desplat, et il me coûte de le dire, est muette, presque scolaire, didactique, conventionnelle, désuète.
Casting
Scarlett Johansson est une valeur sûre, et je trouve qu’elle est digne de succéder à Bryce Dallas Howard dans le rôle principal féminin. Je déplore seulement son attrait initial pour l’argent, même si elle évolue à ce sujet au cours de l’histoire. Après tout, c’est aussi la trajectoire qu’a suivie Claire Dearing.
Du côté du rôle principal masculin, je suis plutôt content de Jonathan Bailey, là aussi digne successeur de Chris Pratt. Il est toutefois peu réaliste de présenter un geek aussi sportif, bien gaulé, et avec les discours qu’il tient dans Rebirth. 9
Du coup, le couple en devenir (on l’espère) fonctionne plutôt bien. L’alchimie est bonne, même s’ils sont timides dans ce premier volet “d’une nouvelle ère”. 10
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Je ne m’étendrai pas sur le reste du casting, globalement bon. Mon empathie pour chaque personnage est directement proportionnelle à leur durée de vie (à l’exception bien sûr de l’antagoniste qu’il était nécessaire de garder plus longtemps que les autres).
Photographie
Clairement le gros point fort de Rebirth.
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Les effets spéciaux sont excellents (si l’on fait abstraction de quelques libertés prises avec la physique, notamment tout ce qui concerne le bateau), en particulier les scènes impliquant de l’eau. Historiquement, l’eau a toujours été la grande ennemie des CGI, mais force est de constater qu’Industrial Light and Magic est toujours à la pointe.
Le design des dinosaures et des monstres, leur modélisation et leur éclairage sont dignes de la saga. Il y a peu d’animatroniques, mais ils sont toujours d’une qualité bluffante, comme en témoigne le court documentaire en bonus sur Dolores, l’Aquilops.
Les dinosaures
C’est une marotte de la saga : “les dinosaures n’intéressent plus personne”. Je ne peux m’empêcher de questionner ce leitmotiv, servant déjà de prétexte à la création de Indominus rex dans Jurassic World. Est-ce un constat ? La volonté de propager une idée fausse dans le but d’attirer l’attention ? Un parti-pris scénaristique ? Difficile à dire, d’autant que nous traversons un nouvel âge d’or de la paléontologie.
Quoi qu’il en soit, et comme je l’ai déjà dit dans la section “Photographie”, le design des dinosaures est excellent, rafraîchissant, même. On a moins tendance à la timidité sur la pigmentation de la peau, mais la question des plumes reste éludée. Il y a toujours plus de proto-plumes et de poils que de véritables plumages, mais ça ne me gêne pas. Au risque de me répéter, on a admis que lorsque InGen a déséteint 11 les dinosaures, le prix à payer était quelques anomalies génétiques, dont l’absence de plumes. Un élément narratif simple et habile pour justifier ce que l’on qualifie aujourd’hui d’erreur. Mais comment voulez-vous que des espèces déséteintes avec un “défaut” aient subi une évolution convergente, entraînant en l’espace d’une trentaine d’année des caractères génétiques perdus depuis 65 millions d’années ?
La liste des espèces visibles est satisfaisante, quoique moins fournie que dans les films précédents : Mosasaurus, Tyrannosaurus, Spinosaurus, Quetzalcoatlus, Titanosaurus, un Aquilops trop chou, quelques Compsognathus, un Parasorolophus décédé, un Dilophosaurus, un Anurognathus et deux Velociraptor. On notera aussi un Pteranodon miniature, ne correspondant à aucune espèce de ptérosaure connue. Bien que leurs durées d’apparition dans le film soient très variables, il est plaisant de retrouver ou découvrir ces espèces.
Je ne peux cacher que les Spinosaurus m’ont un peu déçu, et on pourra m’accuser, non sans raison, de ne jamais être content. En effet, depuis au moins Jurassic Park III (et depuis bien longtemps en réalité, mais le film a relancé le débat sur la scène publique), l’apparence et le mode de vie de ce théropode est très discutée. La “version” présentée dans Rebirth est à la fois plus conforme à ce que l’on en dit aujourd’hui et moins satisfaisante dans sa qualité “spectaculaire”.
Je suis conscient d’être victime de ce paradoxe : l’animal est plus réaliste, et je lui reproche d’être moins spectaculaire. Je suis donc de ceux qui ne se seraient pas contentés des animaux “réalistes” et qui auraient eu besoin d’un Indominus rex pour raviver mon intérêt pour les dinosaures ? Cela ne se peut ! D’autant que la commensalité et le mutualisme montrés dans le film sont des concepts d’éthologie qui n’avaient pas encore été montrés dans la saga, du moins chez les espèces carnivores, ce qui contrebalance ma déception.
Le commensalisme illustré dans Jurassic World Rebirth, où Mosasaurus et Spinosaurus collaborent pour se nourrir, à la manière des baleines et des dauphins.
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Notons l’apparition de Aquilops dans la saga, présenté comme ce qui pourrait être le chat préhistorique. Une impression d’ailleurs renforcée au visionnage du bonus qui lui est consacré. La relation entretenue entre Dolores et Isabella n’est pas sans rappeler celle entre Bumpy et Ben dans Camp Cretaceous, mais dans Rebirth, cette relation est beaucoup plus fonctionnelle, et moins fusionnelle. Dommage !
Autre apparition, celle de Titanosaurus, au cours d’une scène touchante. Je comprends que certains pourraient trouver cette scène un peu trop mielleuse, mais en ce qui me concerne, elle est très positive. J’apprécie que l’on dépeigne les scientifiques comme étant des gens dotés d’émotions (en particulier des hommes, par ailleurs virils en apparence), en dehors de l’image froide et austère habituellement véhiculée.
Du côté des dinosaures, je considère que Rebirth rempli le contrat, mais me laisse tout de même un peu sur ma faim. Il y a d’excellentes idées (le commensalisme, la sieste du Tyrannosaurus, l’Aquilops comme “préhisto-chat”), mais elles sont trop peu nombreuses et pas assez mises en valeur.
Les monstres
Encore un point qui me submerge sous un paradoxe indémêlable. Pourquoi ai-je accepté Indominus rex et Indoraptor relativement facilement dans Jurassic World et Fallen Kingdom, et que j’ai comparativement beaucoup, beaucoup plus de mal avec Distortus rex et Mutadon ?
Indominus rex était présenté comme un hybride particulièrement intelligent et cruel. Il incarnait une véritable réflexion sur le propre de l’Homme, et laissait libre cours à la philosophie, tant sur l’éthique de la science que sur notre propre rapport à la Nature ou à nous-même. Quant à Indoraptor, ses dimensions plus compactes — le rendant capable de se glisser dans une maison — lui conféraient un caractère horrifique particulier : s’il est plus gros qu’un Velociraptor, il est proportionnellement plus terrifiant. Ces deux nouvelles espèces étaient des créations volontaires des scientifiques d’InGen, ce qui renforce la crainte que l’on peut en avoir.
En revanche, Distortus rex et Mutadon ne sont pas des créations volontaires, mais des accidents génétiques. De véritables monstres de foire, au sens historique du terme. Ils relèvent à mon sens de la tératologie, et donc suscitent plus de la compassion que de l’horreur. Je considère donc que, du point de vue narratif, ils échouent dans leur mission logique.
Distortus rex me fait penser à une hybridation ratée entre un Tyrannosaurus et un humain (à cause de sa boîte crânienne), que je vois comme une autre réminiscence un peu absurde d’Alien 4 (comme la scène d’introduction). Je n’aimerais pas que cette piste soit explorée dans des hypothétiques suites à Rebirth.
En ce qui concerne Mutadon, la scène de la station service nuance mon point de vue initial. Oui, cette scène est particulièrement flippante, mais “l’hommage” à Jurassic Park est à la fois trop flagrant et trop peu ambitieux. Ici, l’intelligence de la créature ne participe nullement à sa létalité. Son apparence lui confère bien une présence horrifique, mais son comportement n’a rien de particulier, contrairement aux Velociraptor de Jurassic Park. Et rien ne vient combler ce manque.
Le message
Jurassic Park et les deux premiers volets de Jurassic World avaient leur message clair, martelé à longueur de film : notre incapacité à maîtriser les pouvoirs dont on se dotait, en l’occurrence, la génétique.
Rebirth a aussi son message : il incite à la science ouverte, et à l’open source en général. Je ne peux que me réjouir qu’un film grand public, qui plus est à large audience, véhicule un tel message. Mais force est de constater que ce message passe mal.
Dans Jurassic Park, la question de l’éthique scientifique est centrale : on se la pose à différents moments, et comme on l’a vu plus tôt, de longues séquences sont dédiées à la réflexion, appuyée par des arguments et des contre-arguments. Il est impossible de regarder le film en passant à côté de ces éléments.
Dans Fallen Kingdom, ces moments de réflexion sont parfaitement délimités au cours d’interventions d’Ian Malcolm. L’attention est exclusivement portée sur ses paroles, que l’on boit avec avidité. Là encore, il est difficile de passer à côté.
Dans Rebirth, la question de la science ouverte est diluée entre deux scènes d’action. Le spectateur n’a pas le temps, ni l’incitation nécessaire, ni les arguments ou les contre-arguments pour y réfléchir. Dans une société dont le temps de cerveau est en déclin, un message aussi important qui n’est que vaguement évoqué à deux reprises dans une œuvre de deux heures ne peut qu’être évanescent. Quel dommage d’être passé à côté d’une telle opportunité !
Conclusion
Qu’il me coûte d’être aussi dur avec un film de la saga Jurassic Park ! Ses points positifs sont indiscutablement très positifs, mais ses points négatifs me semblent trop nombreux pour que je sorte d’une séance de visionnage en ayant une impression de satisfaction.
Pourtant, il est possible de l’apprécier : encore une fois, mon épouse, qui n’a pas été exposée aux critiques ayant précédé notre première séance, a été en mesure de le trouver positivement divertissant. Elle ne s’est pas arrêtée sur tous ces détails accumulés au fil du temps, auxquels j’ai fini par accorder une importance telle qu’ils m’ont privé de la magie des dinosaures à la Spielberg.
Peut-être devrais-je le regarder une onzième fois, en me forçant à avoir un esprit plus ouvert, en me focalisant moins sur la véracité scientifique. Mais ne serait-ce pas là trahir l’essence-même du film original, et accepter la dérive inéluctable vers des œuvres de fast-food intellectuel ?
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Estimations de l’oxygène au Phanérozoïque (modèle GEOCARBSULF et synthèses récentes) montrant un pic au Permo-Carbonifère > 25 %, puis un déclin progressif vers des valeurs proches du niveau actuel au Crétacé tardif (~0,21 atm, soit ~21 %). (UCL Discovery) ↩︎
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La composition « standard » de l’air sec (utilisée comme référence pré-industrielle) donne 20,95 % d’O₂ en volume, valeur reprise de manière cohérente par les tableaux classiques de composition de l’atmosphère. (Wikipédia) ↩︎
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Les mêmes tableaux de composition de l’air sec indiquent encore 20,95 % d’O₂ aujourd’hui, tandis que les mesures atmosphériques modernes montrent une très légère diminution du rapport O₂/N₂ due à la combustion des combustibles fossiles, sans changement significatif du pourcentage volumique global. ↩︎
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Les reconstructions stomatales à la limite Crétacé–Paléogène montrent des valeurs de pCO₂ de l’ordre de 560–570 ppm au Maastrichtien terminal, en accord avec les compilations de proxys de Royer pour un Crétacé tardif à quelques centaines–~1 000 ppm. (ScienceDirect) ↩︎
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Les carottes de glace et les rapports du GIEC indiquent une concentration de CO₂ d’environ 280 ppm (± 10 ppm) avant l’ère industrielle, stable sur les ~10 000 ans précédant 1750. (IPCC) ↩︎
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Les analyses NOAA/GML et les synthèses récentes montrent un CO₂ atmosphérique moyen mondial d’environ 422–424 ppm en 2024, avec des mesures à Mauna Loa autour de 425 ppm en 2025, soit un niveau désormais supérieur de plus de 50 % au pré-industriel. (gml.noaa.gov) ↩︎
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Les études sur les traces de pattes des théropodes (famille à laquelle appartient notamment Tyrannosaurus) indiquent la présence probable de coussinets sous les pattes, constitué de tissus mous servant à amortir le contact de la patte avec le sol. De tels coussinets seraient incompatibles avec un bruit comme celui entendu dans toute la saga (et plus particulièrement dans Jurassic World). ↩︎
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J’ai paraphrasé ici une réplique de John Hammond adressée à Ian Malcolm dans Jurassic Park, où il lui reproche de souffrir “d’un déplorable excès de personnalité” ↩︎
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Humour. Au contraire, ça évite de tomber dans le stéréotype du geek petit, gros et boutonneux, véhiculé depuis… les années 70 ? ↩︎
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L’affiche du film et différentes communications parlent d’une “nouvelle ère” (a new era), ce qui peut sous-entendre qu’il y aurait d’autres films, mais aucune confirmation officielle n’existe à ce jour. ↩︎
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Néologisme, du verbe “déséteindre”, d’où vient “désextinction”, autrement dit la “résurrection” d’une espèce éteinte. ↩︎